Pour les flemmards qui ne voudraient pas lire le Zine No 9 en entier, voici ma nouvelle Boléro Nocturne.
Z.
Dans le gymnase du collège Jules Verne, il régnait une bonne odeur de gaufres. Le spectacle de fin d'année était bien entamé. Les
spectateurs courageux avaient suivis un extrait de l'Avare de Molière, de la danse hip-hop, une chorale gospel, de la gym acrobatique et un groupe rock dont l 'ampli principal avait lâché au
milieu de l'intro. Le niveau des prestations avait oscillé entre correct et pathétique. Ce qui faisait tenir tout le monde, c'était l’attente du fameux numéro annuel du professeur
Laboulette. La rumeur disait que, cette année, il allait une nouvelle fois surprendre son monde.
Melinda se coula auprès de Karim. Elle lui tendit sa gaufre au sucre et attaqua la sienne d'un air gourmand.
— Alors , dit-elle la bouche pleine, prêt pour le clou du spectacle ?
— Tu parles ! répondit Karim en se penchant pour ne pas tacher son pantalon avec le sucre glace. Tous les ans
Laboulette fait des numéros de ouf ! Comme dit ma grande sœur, il a une mygale dans le pot fleur.
Ils terminèrent leurs gaufres en moins de deux mais il se sentirent un peu ballonnés. Ils décidèrent d'aller se dégourdir les jambes dans les
loges tandis qu'on procédait au tirage de la tombola. Là, ils croisèrent Harpagon discutant avec une grande gothique peinturlurée puis une gymnaste la cheville en vrac, consolée par sa mère. Puis
ils reconnurent la calvitie du professeur Laboulette qui se préparait dans sa loge. Il était penché sur une grande malle. Sentant leur présence il se retourna et, d'un geste brusque, claqua
la porte.
— Ben mon vieux, il est sur les nerfs ! gloussa Karim.
— J'avoue. Regarde, il en a oublié sa sacoche, dit Melinda en la montrant du doigt.
En effet, celle-ci trônait sur une chaise en plastique, juste devant la porte. Leurs regards se croisèrent. Ils pensaient la même chose. En
catimini, ils s'approchèrent. Karim colla son oreille à la porte et leva le pouce. Melinda, un peu nerveuse s'attaqua à la fermeture de la fameuse serviette qui ne quittait jamais Laboulette et
dont tout le collège se demandait ce qu'elle pouvait bien contenir. Elle s’escrima un bonne minute puis, enfin, elle réussit à l’ouvrir ! Elle ne contenait apparemment qu’un gros livre en vieux
cuir. Karim s’approcha. Il fit une moue interrogative. Melinda commença à sortir le grimoire de la serviette. Il avait l’air antique et il sentait un peu le moisi, la couverture était toute
craquelée et il y avait une inscription sur la tranche. Elle essaya de la déchiffrer. Ce n’étais pas du français.
- On dirait du latin. De M…
A ce moment, la poignée du vestiaire bougea. D’un geste vif Melinda referma la serviette et les deux ados firent le coup classique de ceux
qui font semblant de se peloter. Ce qui n’était désagréable d’ailleurs. Laboulette passa la tête par l’entrebâillement de la porte, tendit le bras , pris sa serviette et referma le vestiaire.
Ouf, ça avait marché !
Le numéro du professeur fut époustouflant. Devant un grand rideau noir. Trois squelettes dansaient au son de la fameuse Danse Macabre de
Saint-Saëns. La chorégraphie était parfaite et collait idéalement à la musique. Tout en faisant des entrechats, les trois squelettes passaient leur temps à s’échanger des os. Un tibia par ci et
un cubitus par là ! C’était beau et tordant à la fois. Impossible de voir les trucages ou les fils et, par un habile bruitage, on entendait même le cliquetis des articulations, incroyable !
Pendant le salut final, c’est un Laboulette rougissant qui reçu un tonnerre d’applaudissements.
Karim et Melinda avaient eu beau se tuer les yeux, ils n'avaient rien compris au stratagème du professeur. Les squelettes étaient-ils
des danseurs bien déguisés ou bien des marionnettes géantes ? La seule chose qu'ils avaient remarqué c'est que le plus grand d'entre-eux ressemblait à Hector le spécimen du cours de
sciences.
Alors que tout le monde sortait du gymnase, Melinda vint à la rencontre de madame Bourlier, la professeur de latin.
- Dites-moi, madame, qu’est ce que ça veut dire De Mortis Animandis ?
Celle-ci haussa les sourcils.
- Hé bien « comment animer les morts », pourquoi ?
Plus tard dans la nuit dans la réserve de matériel scientifique, un vieil homme chauve avec une serviette en cuir à la main semblait
parler tout seul. Il se tenait face à un placard grand ouvert.
- Messieurs, beau boulot ! Vous avez été parfaits ! A tel point que l'an prochain je prévois de vous
réemployer dans un numéro de French Cancan. On en reparlera. Bonne nuit messieurs.
Au fond du placard (comme on pouvait le lire sur les étiquettes qu'ils portaient sur le front) Hector, Sigisbert et Edmond
affichaient leurs sourires habituels de squelettes. Chose surprenante, on aurait dit qu'ils avaient tous trois un petit quelque chose en plus, comme une sorte de fierté.
Après une petite tape satisfaite de sa main décharnée sur sa serviette, Laboulette s'éloigna en sifflotant les dernières notes de la
Danse Macabre.
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