Elle pose la pièce bien en équilibre sur les autres. Et cinquante qui font cent Pense-t-elle.
Elle savoure ce qui est pour elle le meilleur moment de la journée : Le comptage de la recette. Vu le tas qui reste à mettre en ordre, elle a été particulièrement bonne ce jour-là. Elle lève les yeux. Tout autour d’elle, par centaines, des petits pots en verre remplis de taches de couleurs forment une sorte de kaleïdoscope.Ca fascine toujours les enfants. Elle non. Tout ce qui lui importe c’est que ces bonbons lui rapportent de l’or. Beaucoup d’or. Madame Calisson a toujours détesté les sucreries d’une part et, d’autre part, elle a trop peur de gâter ses belles dents blanches. Son râtelier immaculé est d’ailleurs la seule chose de remarquable dans son visage de fouine. Après un petit soupir de contentement, elle reprend son décompte. Un, deux trois, quat…
On frappe.
Madame Calisson fronce les sourcils. C’est inhabituel. La nuit est tombée et la boutique est fermée depuis longtemps. Sûrement une erreur. Cinq, six, sept…
On frappe encore.
Cela ne peut être son mari puisqu’il trime au sous-sol pour fabriquer des sucres d’orge. Son plaisir est gâché. Très irritée, madame Calisson va ouvrir.
Sur le seuil cinq personnes. Une petite fille à l’air revêche, une sorte de momie géante, deux individus encapuchonnés et quelque chose qui ne ressemble à rien de connu. C’est horrible cette chose avec une tête de serpillière.
— Qu’est ce que vous voulez, demande la commerçante d’un air pincé.
— Des bonbons ou des sorts, répond la petite fille qui croise les bras.
— Quoi ?
— On veut des bonbons ou sinon on vous jette des sorts. Reprend la fillette.
— Alors ça ma petite, il n’en est pas question.
La fillette se retourne et fait un signe à la momie et à la chose indéfinie. Les deux monstres se mettent à pousser des hurlements atroces qui doivent s’entendre a l’autre bout de la ville.
Madame Calisson n’est pas du tout impressionnée. Non. Elle se fâche.
— Vous pouvez hurler, trépigner tant que vous voulez, vous n’aurez rien. Vos déguisements ridicules n’y changeront rien. Pour avoir des bonbons, il faut payer !
— C’est ce qu’on va voir, dit la fillette. Elle se tourne cette fois vers un des encapuchonnés et elle claque des doigts.
Celui-ci lève un doigt. Il montre le comptoir à la commerçante. Elle se retourne.
— Mais qu’est ce que…Oh, mon dieu !
Une des pièces d’or s’est transformée en cafard et l’insecte se carapate dans la boutique.
— Si vous croyez que je vais céder à votre chantage ignoble et…
Le doigt se pointe à nouveau.
Tout un tas de pièces se cafardise et prend la poudre d’escampette. Madame Calisson a pâlit et ses yeux écarquillés contemplent le désastre. Y’en avait au moins pour trente pièces d’or dans ce tas.
— Alors ? Demande la fillette les mains sur les hanches.
— Non, je refuse !
Le doigt s’agite.
— Arrêtez ! crie Madame Calisson qui vient de passer au mode panique. Elle capitule, jugeant même inutile d’appeler son mari. Il n’aurait même pas tenu trois secondes ce molasson.
Elle s’efface et soupire d’un air las :
— Allez vous servir.
Plus tard dans la nuit, cinq silhouettes déambulent dans les rues de Bélianthe. Rabattant son capuchon, Zordar se tourne vers Plumette. Il tâte ses poches, elles sont bien pleines.
—Eh bien, qu’est ce qu’il ne faut pas faire pour faire plaisir à madame. N’oublie pas d’en laisser à Ambrosius, sinon il va faire la gueule.
La bouche remplie à ras bord, la fillette répond :
— De toute fachon, elle pache son temps à arnaquer tous les goches cette vieille fouine.
— Moi je me suis bien marré, intervient Mikhalar. Il faudrait le faire une fois par an. « Des bonbons ou des sorts », ça marcherait peut être !
Derrière lui, la momie géante qui porte désormais un canard sous son bras, se racle la gorge. Elle à l'air trés désappointée.
— Dites, les minots, j’ai vraiment l’air d’être déguisée ?
— Coin ! Soupire le canard-démon tout aussi vexé.
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