Avant d’ouvrir les yeux, il resta sans bouger. Il aimait faire ça tous les matins pour apprécier le silence. Un silence par moment si épais qu'on pouvait presque le palper. Ce matin là, il n’entendait qu’un faible chant d’oiseau dans le lointain.
Il se leva pour faire redémarrer le feu puis il se fit bouillir de l’eau pour son infusion matinale. Il mangeait peu, il vivait de ses maigres cueillettes et des légumes que lui offraient les villageois quand ils passaient prés de sa grotte.
Il aimait beaucoup sa grotte, il avait mis du temps à la trouver : isolée, spacieuse, bien aérée et proche d’un point d’eau. Mais ce qui lui remplissait le cœur de ravissement c’était la vue splendide qu’il avait sur la vallée.
Son frugal petit déjeuner terminé, il se mit en position de crabe inversée que lui avait apprise son maître et commença sa méditation. Celle-ci consistait à imaginer un cube transparent et de tenter d’y faire le vide en chassant toutes les pensées. Une fois le cube vide, la Grande Félicité était proche. L' aprés midi, il avait prévu de faire une meditation philosophique sur " Vivre sale est -il une dépravation ?"
Un crissement au dehors fit entrer dans son cube tout un tas de pensées en vrac. Il pesta en se disant qu’il en avait pour des heures à tout vider. Il reprit son exercice mais les pensées telles que « Qui peut bien venir ici ? » ou « Est ce que quelqu’un m’apporte à manger ? » avaient du mal à sortir.
Un bruit de pas se fit entendre tout prés de l’entrée. Un flot de pensées s’engouffra dans le cube comme une pinte de bière dans la gorge d'un nain.
« Cette fois c’est terminé » pensa l’ermite. Il se leva pour aller voir. Un homme, jeune, brun aux cheveux longs et aux allures de guerrier inspectait la grotte avec intérêt.
— Ca m’a l’air parfait, dit-il en s’adressant à quelqu’un derrière lui. C’est assez grand et bien aéré.
— Tu as raison, je vais aller prévenir les copains, répondit son interlocuteur en entrant dans la grotte. Il avait de drôles de cheveux blancs, dressés en épis sur la tête. Ca va être génial !
Sur ce dernier mot, il disparut.
L’autre arpentait maintenant la grotte en marmonnant et en faisant de grands gestes.
— Monsieur ? Monsieur ? Appella l’ermite.
— Hein, quoi ? Ah, bonjour, je suis Zordar. Terrible, cette grotte, terrible.
— Terrible ? Marmonna l’hermite. Mais terrible pour quoi ?
— Hé bien, euh, vous allez voir ! Mais ne vous inquiétez pas, on nettoiera tout après !
Dans le cube, de sombre nuages noirs s’accumulaient. Ce « après » n’ était pas de bonne augure.
Le type aux cheveux blancs apparu brusquement en faisant sursauter l’hermite.
— Salut vieux, moi c’est Mikhalar et toi ?
— Sangrenelle.
— Tu es une sorte d'ermite c'est ça ?
Sangrenelle hocha la tête.
— C'est exactement ça. Après une vie dissolue je suis venu ici il y a dix ans pour expier et ..
— Ouais, d’accord Sangri, c’est cool, je peux t’appeler Sangri ?
— Je ne …
— Bien !
Mikhalar s’adressa à Zordar.
—
Ambrosius arrive avec toute la troupe et les Burritos ont accepté de jouer ce soir.
Les Burritos étaient un peuple du sud d’Aquilonia qui portaient des chapeaux à larges bords. Ils passaient la journée à dormir aux pieds des nombreux cactus qui poussaient dans leur pays et le soir, ils faisaient des fêtes titanesques dans une ambiance musicale torride.
Le pauvre ermite ne savait plus par quelle question commencer. Il n’arrivait plus à aligner deux pensées cohérentes. Il se raccrochait au mince espoir que tout cela n’était qu’un cauchemar ou une hallucination due au manque de nourriture. Il ne fut pas déçu.
Celui qui s’appelait Mikhalar fit un rapide geste et un bar apparut au fond de la grotte, il fut suivit d’une pompe à bière puis d’une énorme cheminée ou un bœuf de belle taille rôtissait.
L’odeur semblait bien réelle puisque son estomac gargouilla lâchement sans autorisation. Il pensa à son maître et à ce qu’il aurait fait dans une telle situation. Il aurait probablement salué poliment les opportuns et repris sa position de crabe inversée pour se replonger dans sa méditation. Mais son maître n’aurait pas eu un tas de questions qui lui brûlaient la langue.
Il s'approcha du guerrier qui était occupé à remplir une rangée de chope de bière. A vu d'oeil, il y en avait bien une cinquantaine. Dans le
cube, un orage se préparait.
—Hum, dites, monsieur Zordar.
— Oui ?
— Qui sont ces Burritos ?
— Mon ami, vous avez une chance unique parce que ce soir, dans votre grotte, après dix ans d’absence, Sancho Valdez et ses Trente Patatas vont jouer leurs meilleurs morceaux de Saleça. Ca va déchirer son troll, je vous le dis mon vieux !
Ce qui était sûr, c’est que ce n’était pas à cause du jeun que Sangrenelle se sentit faible et qu’il préféra s’asseoir.
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